Charlotte Mano, une photographe émouvante et primée pour sa série « Thank you mum »

Charlotte Mano, une photographe émouvante et primée pour sa série « Thank you mum »

©Charlotte Mano

Bouleversée par la maladie de sa mère, Charlotte Mano a réalisé une série photographique pour le festival de photographie d’Athènes, mettant en scène leur quotidien dans des micro-fictions. Une célébration de leur complicité où la mère devient peu à peu la protagoniste des mises en scène imaginées par la photographe. Les deux femmes se dévoilent complètement et partagent ainsi la force universelle de la relation mère-fille. « Thank you mum » a reçu le Prix HSBC pour la Photographie 2020 et interroge la puissance de l’image mais aussi ses propres limites, dans une atmosphère loufoque, contemplative et troublante.

Comment avez vous commencé à prendre des photos, par pur intérêt personnel ou est-ce de famille ?

C’est vraiment par pur intérêt personnel : j’ai grandi à la campagne, dans le sud-ouest de la France, et je me suis beaucoup ennuyée dans mon enfance, je lisais pas mal, j’ai d’ailleurs fait des études de littérature avant de me mettre sérieusement à la photographie. Adolescente j’empruntais le caméscope de mon père, je devais avoir 14 ans : j’ai commencé à me filmer et puis j’ai vu qu’on pouvait prendre des photos : ça a commencé un peu comme ça. On m’a offert mon premier appareil photo à 18 ans.

Et qu’est ce vous a vraiment lancé dans la photographie, une fois dans votre vie adulte ?

Ça me trottait dans la tête, ce besoin de dire des choses, et il fallait que ça passe par un médium, que ce soit raconter des histoires ou réfléchir. Comme je lis beaucoup, j’ai commencé par des études de Lettres Modernes puis je me suis rendue compte que ça ne m’intéressait pas trop de lire les histoires des autres, il fallait donc que je trouve autre chose, un medium à moi. Puis je me suis rappelée que la photographie m’avait un peu taraudée à mes 14 ans, puis à mes 18 ans. Je pratiquais la photo en amateur on va dire, je me photographiais moi même dans la nature telle une nymphe des bois. Après tout je me suis demandée si ce n’était pas ça mon medium de predilection pour raconter des histoires.

Après mes études de Lettres, j’ai obtenu le concours des Gobelins en section photographie : ainsi, je me suis radicalement déplacée de la littérature à l’image.

Comment le projet Thank You Mum est né ? Comment avez-vous réussi à dépeindre quelque chose de si personnel ?

©Charlotte Mano

Je n’ai pas vraiment de réponse toute faite, quand j’ai appris la maladie de ma mère fin 2017, j’étais sur d’autres projets photographiques, et je rentrais d’une résidence d’artistes européenne. Je me sentais un peu démunie, comme on peut imaginer se sentir quand on apprend que sa mère est malade, qu’elle soit proche ou pas, elle reste un élément constitutif à chacun, c’est ce qui nous lie tous qu’on le veuille ou non. Je me suis trouvée dans une impasse.

Je me rappelle lui avoir dit: “on va faire des images de tout ça”. Puis j’ai commencé à photographier frénétiquement, à vouloir tout enregistrer d’elle, sans savoir où j’allais précisément. J’ai quitté Paris où je vivais et travaillais pour m’installer avec elle, dans le même village d’enfance où j’ai grandi. On a commencé à échanger d’abord oralement. Il y avait un besoin urgent de la connaître, de la connaitre autrement, comme une femme, pas comme une mère. J’ai donc voulu établir ce lien là et elle a bien voulu être complice, ma complice de “jeu”. La relation qu’on a construite s’est faite naturellement, au fil des mois, des images, de la construction de ce récit photographique.

Quand ma mère partira, il y aura des traces de cette relation, des traces matérielles comme le livre “Thank You Mum” aux éditions EXB (Xavier Barral), des expositions aussi mais surtout une expérience humaine unique et inoubliable.

Quelle a été la réaction de votre mère en voyant la série ?

La première année où je l’ai photographiée, je n’ai pas souhaité lui montrer nos images, par pudeur peut être, c’était comme mon journal intime, je ne voulais pas le partager tout de suite. Je n’étais pas mûre, j’avais peur de la blesser ou de l’effrayer.

Je me suis quand même décidée à lui montrer tout ça à l’occasion de mon premier solo show au “Château d’eau” de Toulouse où  j’exposais les prémices de la série. Ce fut un choc pour nous deux, on nous reconnaissait sur les images, les spectateurs venaient nous parler, nous n’étions pas du tout préparées à ça.

Elle a été très émue, nous avons eu notre lot de larmes,  c’était fort et cela nous a rendu encore plus unies.

Un an plus tard il y a eu l’annonce du prix HSBC pour la photographie. Etre lauréate pour cette série c’était le plus beau cadeau que l’on puisse me faire dans ma carrière de jeune photographe et une belle reconnaissance de notre travail.

Je dis « on » parce qu’elle a aussi photographié, c’est devenu au fil des mois un travail à quatre mains… Je voulais qu’elle prenne l’appareil, pour lâcher prise, pour me voir autrement, me sentir vulnérable. Il y a eu un déclic personnel avec l’accomplissement de ce travail : je suis passée du statut de « fille » à celui de « femme », je n’étais plus simplement la fille de ma mère.

Quel était le processus ? Comment alliez-vous d’une photo à une autre ?

©Charlotte Mano

On a commencé à photographier au cours de nos balades quotidiennes dans la forêt, dans la nature. Elle comme moi avons grandi dans ce décor. La nature c’était notre enfance et notre quotidien, c’est un terrain de photographie rassurant pour moi. Pour les images, ça a fonctionné un peu comme un cadavre exquis : une image en appelant une autre et ainsi de suite.

La première image (à Athènes elle est en grand) de ma mère, elle est allongée sur un espèce de catafalque blanc, nue, recouverte des champignons. C’était pour moi la représentation d’elle morte, ma propre visualisation un peu enfantine et dure à la fois. Ça m’a rappelé “Blanche Neige” endormie dans sa cloche de verre dans la forêt. Pour la petite histoire, en ramassant les champignons de cette première mise en scène, je me suis coupé la main, ce qui a créé une autre image de ma main ensanglantée et ma mère me portant secours (image que l’on peut voir dans l’exposition). Et ainsi de suite…

Techniquement, les images se font très vite, ma mère n’ayant plus de défenses immunitaires. Nous photographions en général le soir, entre chien et loup, à la fraîcheur… J’installe l’appareil, je place ma mère, et je déclenche. Ce tout petit laps de temps est précieux pour moi : c’est le temps de la regarder, de se regarder, un peu comme une nouvelle naissance à chaque fois, une sensation de revenir à l’essence, à l’essentiel.

Quel est le role de la nudité dans cette série, comment cela s’est fait ?

Quand j’ai demandé à ma mère de se mettre nue, la nudité n’était pas le véritable problème nous sommes plutôt à l’aise avec ça. Il fallait surtout qu’elle comprenne pourquoi. J’avais besoin de trouver une sorte de vérité, de vulnérabilité (qui est une force dans ce projet à mon sens) : c’est passé par la nudité et la nature. ll y a eu une sorte de rapprochement physique, de contact direct, de peau à peau, que je n’avais plus eu l’occasion d’avoir après l’enfance, c’est une autre forme de rencontre.

J’ai essayé aussi de trouver une justesse dans le fait que nos corps soient nus, ce ne sont pas des corps de femmes érotisées mais plutôt deux héroïnes dans la nature, comme quelque chose de mythologique. Un imaginaire de femmes fortes, guerrières et à la fois vulnérables par la mise à nu.

©Charlotte Mano

Quels sont vos prochains projets ?

Je lis encore beaucoup, surtout sur l’histoire du visage et l’histoire des larmes. Je trouve que c’est dans la continuité de “Thank You Mum”, mais une continuité vraiment personnelle, sur un sentiment profond que je ressens. J’ai notamment fait des tirages avec mes propres larmes… Tout cela reste encore expérimental.

En tout cas pour moi la photographie est un médium de déréalisation. Même avec Thank you mum, on est à la lisière de la fiction, les personnages sont réels mais il y a des mises en scène, de la douceur pour palier à ce que la vie nous donne en souffrance.

Pour voir son travail à Athènes : Benaki Museum / Pireos 138. Horaires d’ouverture : Thu & Sun 10:00 – 18:00
Fri & Sat 10:00 – 22:00, jusqu’au 15 Novembre. Pour plus d’informations : www.photofestival.gr/exhibitions/charlotte-mano-2

Son site internet : www.charlottemano.com

 


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