Le Rebetiko, la musique underground

Le Rebetiko, la musique underground

Les sons mélancoliques d’un bouzouki,des mouvements de danse ivres, des bougesfaiblement éclairées imprégnées d’une forte odeur d’herbe et de haschich – le chant rebètiko, selon Jacques Lacarrière, « est le petit bâtard, né de l’union d’une maman smyrniote et d’un père mauvais garçon du Pirée. » Tout le monde connaît le bouzouki : c’est le son du divertissement touristique grec cliché, entendu lors de nuits de débaucheimbibées de ouzo dans les tavernes du monde entier. Cependant, peu de gens connaissent l’ancêtre de cette musique, le rebetiko : un son grossier, poilu et underground tout droit sortides cendriers, des cabarets, des maisons closes et des prisons, et qui a captivé la Grèce pendant un demi-siècle.

Christopher King, dans son livre Laments of Epirus, décrit ainsi le son surprenant du rebetiko : « un instrument dissonant joué avec un complet abandon ; une clarinette qui setrouverait dans les affres de la mort – courbée, contorsionnée et toujours au bord de la rupture. »

Cette image paradoxale de frénésiemélancolique est évoquée parfaitement par le célèbre morceau instrumental Miserlou de Dick Dale, qui fait l’ouverture du Pulp Fictionde Tarantino et a été composé à l’origine parNikos Roubanis, un des premierscompositeurs de rebetiko, dans les années1930.

Dérivant d’une racine turque, rebet, qui signifie rebelle ou désobéissant, les chansons tournent autour du style de vie des membresde la pègre grecque.

Dans L’Eté grec, incontestablement un des plus beaux livres écrit par un auteur françaissur les 4000 ans de civilisation grecque,Jacques Lacarrière décrit le rebetiko commeune évocation très riche de ce qui est sans doute le patrimoine musical le plus précieuxdes Grecs. « Tradition musicale urbaine née au début du siècle dans les communautésgrecques d’Asie mineure et dans les bas-fonds des ports grecs pour s’étendre ensuite à toute la Grèce, la musique et les chants dits rebetika sont une des créations les plus originales et les plus spécifiques de la culture grecque d’aujourd’hui. »

Une sorte de blues hors-la-loi, le rebetikotraitait généralement des thèmes de l’exil, de la perte de la famille, de la déambulation nocturne dans les rues, de la consommation excessive d’alcool et de drogues, de l’amour sans retour, de l’emprisonnement et de la mort.

« Comme le blues le fut en son temps, ils [les rebetika] disent le cri des marginaux, la plaintedes esseulés et des laissés pour compte, le credo d’une Grèce réfractaire à toute culture bourgeoise. Airs et paroles sont l’oeuvred’artistes autodidactes et donc composés par un individu précis, connu de tous. Son nom peut ou non devenir célèbre par la suite, dépasser les frontières d’un café, d’un quartier, d’une ville, il n’en demeure pas moins qu’ils’agit toujours de créations individuelles. »

La prison et les « tekes » (bouges en argot grec), souvent le sujet des chansons rebetiko, etaient aussi les endroits où cette musique étaitle plus susceptible d’être entendue.

Nul ne l’évoque mieux que Jacques Lacarrière: « Pour moi, c’est d’abord cela, le rébètiko : une atmosphère autant qu’un chant, des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin résiné, d’ouzo, de sciure fraîche sous les tables, de mégots refroidis »

Pour une société grecque respectable, les «rebetes » étaient des personnages sordides qui menaçaient la cohésion morale de la nation.Sous le regime Metaxa en 1936, les chansons ont d’ailleurs été interdites en raison de leur contenu anti-autoritaire. Les musiciens de rebetiko se sont constamment trouvés en conflit avec les autorités, un peu comme les hommes de jazz des années 1920 ou les premiers rappeurs de gangsta aux États-Unis. La police perquisitionnait les tekes, brisait des instruments et arrêtait les rebetes à tout-va.

Pendant que le rebetiko mûrissait, la pauvretéen Grèce s’aggravait. L’occupation nazie, immédiatement suivie par la guerre civile, a déchiré le tissu social du pays et presque tout un chacun en Grèce, quelle que fut son originesociale, était proche du seuil de pauvreté. Le rebetiko est encore une fois entrée enrésonance avec la misère des opprimés, maiscette fois à l’échelle nationale.

Insensiblement, le rébétiko se fait « laïko »(c’est- à -dire : populaire), à mesure qu’il se laisse domestiquer, qu’il abandonne les apologies du haschisch et de l’alcool. Le style évolue en s’occidentalisant progressivement. Le rebétiko sort des bas-fonds de la société où il était cantonné jusqu’alors ; le bouzouki est modifié, électrifié, permettant un style virtuose au prix d’un changement radical de l’esthétique de la musique ; les paroles évoluent et font désormais la part belle àl’amour et aux thèmes sociaux.

Les compositeurs de rebetiko les plus connus, dont Bambakaris, Kaldaras, Papaïoannou, et Tsitsanis, ont profondément marqué la musique grecque d’aujourd’hui. C’est àTsitsanis qu’on attribue le mérite d’avoir opéréla transformation du rébétiko, qui de musique sulfureuse est devenue en quelque sorte musique nationale vivante de la Grece.

Les mélodies accrocheuses de ManosHadjidakis et de Mikis Theodorakis ont fait du bouzouki un synonyme international de la musique grecque – le premier au travers de la bande originale de Jamais le dimanche, le second au travers de celles non moins célèbres de Zorba le grecZ et Serpico. Mais, de l’aveu de Hadjidakis, leur musique n’était pas un authentique rebetiko : « Le Rebetiko n’a existé que lorsqu’il était illégal, joué dans des cachettes inaccessibles, quelque part en marge.»

 

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Vassilis Tsitsanis

Longtemps traité avec dédain, le rebetiko a perdu toute connotation sulfureuse avec l’arrivée de Vassilis Tsitsanis, dont le«Synefiasmeni Kyriaki» (Dimanche nuageux), écrit pendant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale, est devenu une sorte d’hymne national non officiel.

 

C’est à Tsitsanis qu’on attribue le mérited’avoir opéré la transformation du rébétiko, qui de musique sulfureuse est devenue en quelque sorte musique nationale vivante de la Grece.

 

Le chant de Tsitsanis était également une légende. Sans ornement, jugé même abstrait par certains, « avec un style de staccato déchirant qui coupe les phrases comme un sanglot », selon le musicologue GiorgosLeotsakos, il a créé une nouvelle façon de jouer plus « occidentale » qu’« orientale ». «Je n’ai pas essayé de donner un ton politique à mes chansons », a-t-il déclaré. « De simples situations, des moments tristes ou heureux, la douleur, la pauvreté, le malheur et les épreuves du malheureux sont le sujet de mes chansons qui ont touché une corde sensible chez les gens.»

Le rebetiko hors de Grece

Selon Elias Petropoulos, un des grands experts de rebetiko, dans les années suivant la « catastrophe d’Asie Mineure », mais également dès 1918, un grand nombre de Grecs ont émigré aux États-Unis, apportant avec eux le rebétiko et les traditions musicales de Smyrne. En 1919, les premières maisons de disques grecques sont fondées, et dès les années 1920 circulent aux Etats-Unis des enregistrements qu’on peut déjà qualifier de rebétika — avant même les premiers enregistrements grecs. On produit ces disques aux États-Unis jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La renommée de certains rebétikaaméricains a traversé les âges. C’est le cas deMisirlou : la bande son du film Pulp Fictionest une reprise du thème de la version gréco-américaine d’un rebétiko des années 1920.

Instruments de musique

À l’origine, dans les années 20, un ensemble typique était constitué d’un violon à deux cordes, d’un oud et d’un santouri – mais, étonnamment, il ne comportait pas de bouzouki. Dans les cafés, les spectateursturbulents ont ajouté leurs proprespercussions, en utilisant tout ce qu’ils avaientà disposition – des cuillères à soupe, des verresd’ouzo, leurs propres pieds. De même, la danseimpromptue (le gros de la musique de rebetiko est de la musique de danse) était considérée de rigueur. On attribue généralement à Markos Vamvakaris une réinvention radicale du son de l’ensemble de rebetiko avec sa kompania – la configuration classique de deux bouzoukis, d’un baglama et d’une guitare.

bouzouki

Le bouzouki (du turc «bozouk», qui signifiecassé) fait partie de la famille des luths à long manche.

baglamas

Facilement transportés ou cachés, les baglamas constituaient l’instrument de choixdes vagabonds et des personnes incarcérées.

guitare

La guitare a été introduite dans ces petits ensembles plus tard, fournissant souvent uneligne de basse en mouvement semblable à la «basse vivante» de la musique country.

Les voix, généralement masculines, étaientenrouées et rugueuses, une sorte de blues gémissant.Les danses associées sont principalement le zeimbekiko, le hasapiko, mais aussi le tsifteteli et le karsilamas .

Lacarriere : « S’il me fallait définir d’un mot cequi, au cours de ces années grecques, fut pour moi le plus révélateur (ce que j’emporterais de grec avec moi dans une île déserte), je dirais : les rébétika. […] Ces airs sont liés à toutes mesannées grecques et ils accompagnent toujoursdans ma mémoire chacun de mes séjours enGrèce. […] le rébétiko réhabilitant justement le mot pour faire de ce bas-monde, le vraimonde, – celui où l’on connaît la vie, la souffrance, les réalités par rapport au monde conventionnel et frelaté de la bourgeoisie et de l’intelligensia) bref, parler des zébékikas, les danses qui accompagnent ces chants, des bouzoukia, des baglamadès, instruments qui leur sont associés et de tout l’univers impliquépar ces chants et cette poésie populaire (la taverne, le vin, la misère, la nuit, la mort, la prison, les ports, le haschish, le narguilé, le déké, la masoura) serait raconter pratiquementun demi-siècle de l’histoire grecque.

Où revivre le rebetiko à Athènes

Pendant longtemps, Stoa Athanaton était le sanctuaire de la musique rebetiko jusqu’à safermeture définitive l’année dernière.

– Astrofeggia est situé au 294, avenue Patission et rue Kontou. Il est ouvert du vendredi au dimanche en dehors des moisd’été.

– Ennea Ogdoa, L. Alexandras 40, 210.8821095 & 8235841

– Mantala, Hydras 14, Kypseli, 210.8234511, George Xintaris, a rembetika modern legend, sings here

– To Pontiki, Eptanisou 9 & Androu, Kypseli, 210.8232971 & 8226995

– Aptaliko, Ironda 8, Kallimarmaro, 210.7242172

– Epta Nyhtes, Ironda 6, Kallimarmaro, 210.7245385

– Kavouras, Themistokleous 64, Exarhia, 210.3810202

– Palia Markiza, Empedokleous & Proklou 41, Varnava square, Pangrati, 210.7511888

 


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