Du fleuve Ilissos à Pangrati, la généalogie de la forme urbaine contemporaine

Du fleuve Ilissos à Pangrati, la généalogie de la forme urbaine contemporaine

Pangrati est un quartier très animé, situé près du centre d’Athènes, jadis appelé Vatrahonissi. Et pourtant, les Athéniens connaissent mal son urbanisme, sa géographie et l’histoire de son évolution, à deux pas du fleuve Ilissos, aujourd’hui invisible. Voici un résumé de la conférence de Panayotis Tournikiotis, deux fois lauréat du Prix international du livre d’architecture de l’Institut américain des architectes, sur le sujet : Du fleuve Ilissos à Pangrati, la généalogie de la forme urbaine contemporaine.

Pangrati est un vieux faubourg d’Athènes, aux contours bien délimités, au relief varié, doté d’un centre organisé avec des places, tout un parc ; proche du centre d’Athènes, il n’en conserve pas moins son caractère excentré. Deux facteurs ont largement influencé son évolution.

Premier facteur, l’Ilissos, cette rivière ou plutôt ce torrent qui traverse l’est du bassin de l’Attique sous les avenues Michalakopoulou, Vas. Konstantinou et Kalliroïs jusqu’à son embouchure, qui est à ciel ouvert, pour se jeter dans le delta du Phalère. Depuis l’Antiquité – lorsque Socrate s’entretenait avec Phèdre le long de ses rives – jusqu’au 19ème siècle – époque de la constrution du Stade panathénaïque (ou Kallimármaro) -, l’Ilissos était la limite orientale de la ville. La construction de Pangrati débute à la fin du 19ème siècle, avec le Vatrahonissi (île des grenouilles : en raison des nombreuses grenouilles qui vivaient sur les bords de l’Ilissos et du fait qu’en ce lieu la rivière se divisait pour créer un petit îlot), pour annoncer la première grande extension de la ville d’Athènes sur la rive opposée. L’Ilissos, avec ses grands et petits ponts, sa berge découverte qui permettait à l’eau de pluie de s’écouler, était la frontière naturelle de Pangrati ; et ce, jusque dans les années 1950, lorsque la décision fut prise de recouvrir la rivière par l’avenue Vas. Konstantinou.

Deuxième facteur, le plan d’urbanisme de Pangrati sur la rive est de l’Ilissos. Pangrati fut un modèle d’expansion urbaine judicieusement planifiée dès le départ, sur la base des théories de l’époque, avec une projection sur l’avenir par delà l’existence de la rivière Ilissos. Une période dominée par le premier ministre Ch. Trikoupis et le directeur des travaux publics du ministère de l’Intérieur, l’architecte Ernst Ziller. Le plan fut approuvé en 1886 et mis en œuvre avec de rares modifications. Le « schéma d’alignement des rues du quartier de Vatrahonissi » se caractérise par une géométrie qui est dans la continuité de la structure et de l’esthétique du premier plan d’urbanisme d’Athènes dû à Kléanthis et Schaubert, modifié par la suite par Klenze.

Image d’archive de Pangrati

Plusieurs événements ont contribué au développement de Pangrati. En 1891 commence la construction du palais du successeur au trône, derrière le jardin royal. En 1894 débute le re-marbrage du Stade panathénaïque. Ziller avait acheté tout le terrain du Stade qu’il vendit au roi, lequel finança l’achèvement des fouilles pour en faire don par la suite au Comité olympique. À l’époque, seul un tram tracté par des chevaux y aboutissait. Quelques théâtres s’étaient installés sur les rives de l’Ilissos et le « Panorama », bâtiment circulaire consacré à des divertissements, se trouvait juste en face du Stade. Cependant Athènes était une ville de taille modeste et Pangrati était jusque dans les débuts des années 1920 un faubourg à la population clairsemée, situé à la lisière de la ville. Il fallut la catastrophe d’Asie mineure pour que Pangrati se rapproche du centre et que tous ses îlots urbains soient construits. En 1903 sont posées les fondations de l’église Saint Spyridon et en 1928, celles de l’église du prophète Élie. Un peu plus tard, c’est un bâtiment scolaire moderne et impressionnant qui fait son apparition. Puis, en face de l’école, en 1936 commencent les travaux d’embellissement et de plantation systématique pour la création du parc, sous l’égide de la mairie d’Athènes. Le petit jardin zoologique avec ses ours, sangliers, paons, oiseaux exotiques et diverses autres espèces, n’existe plus : durant la guerre les allemands y installèrent un de leurs camps.

Le stade historique Kallimarmaros

Le Pangrati d’avant-guerre était très éloigné de son aspect actuel. Les immeubles n’existaient pas et le Vatrahonissi était composé de demeures du 19ème siècle occupées par divers corps de métiers, dont celui d’Antonis Mollas, montreur du célèbre théâtre d’ombres, Karaghiosis. La rivière était devenue le dépotoir de la région, menaçant la santé des habitants aux alentours. La solution envisagée était de la recouvrir et à cet égard plusieurs propositions avaient vu le jour. Finalement on opta de recouvrir l’Ilissos d’une avenue et d’une grande place devant le Stade. À l’occasion de ces travaux, les fouilles aux abords du lit de la rivière ont mis au jour le sanctuaire d’Héraclès Pangratis ; l’archéologue Yannis Miliadis apparenta l’appelation actuelle du quartier au dieu chtonien de l’Antiquité. La nouvelle avenue déclencha une transformation totale : non seulement les terrains jouxtant la rivière insalubre acquérirent une façade sur l’artère, mais le quartier devint partie intégrante d’une restructuration plus large du côté est du centre de la ville. L’avenue Vas. Konstantinou relia l’avenue Vas. Olgas à l’avenue Vas. Sofias, permettant la construction des nouveaux grands bâtiments d’Athènes. On assista ainsi au profond bouleversement de l’organisation sociale sur cette ligne désormais implicite de l’invisible Ilissos : l’hôtel Hilton, la Pinacothèque, le Centre national de recherches et le Conservatoire.

Dans les années 1960, le quartier de Pangrati occupe une autre place dans Athènes. En vingt ans, il a été entièrement reconstruit d’immeubles. Cette expansion souleva un vent d’espoir et de renouveau dont grand nombre d’anciennes demeures firent les frais : même la maison du poète lauréat du prix Nobel de littérature Georges Séféris, construite par l’architecte Panos Manouilidis en 1957 aux abords du Stade se retrouva marginalisée. Néanmoins, on peut recenser de très bons exemples de l’architecture grecque moderne : citons les immeubles de Suzanne et Dimitris Antonakakis sur les rues Archelaou et Proklou, la maison particulière construite en 1961 par l’architecte Aris Konstandinidis pour le diplomate et critique d’art Alexandros Xydis sur la rue Archimidous et un peu plus loin sur la même rue, l’immeuble de Georges Théodossopoulos construit en 1980.

Aujourd’hui, la ville contemporaine peut se targuer de quelques atouts. L’« Elefthero Theatro » (le Théâtre libre) a apporté sa note autrement subversive au parc. Le restaurant « Maghemenos Avlos » (la Flûte enchantée) fut le point de rencontre mythique du compositeur Manos Hatzidakis sur la place Proskopon.

Le restaurant la Flûte enchantée ©Will Feuer

La place Varnava, l’avenue Hymittou et la place Messologhiou offrent toujours les plaisirs de la vie en plein air pendant la période estivale. N’est-ce pas cela la magie du caractère urbain de la métropole, avec ses jardins suspendus à l’attique des immeubles, sa vie privée dotée d’une dimension théatrale publique, ses petites tavernes, ses bars et tous les sons et bruits qui l’animent ? Le quartier de Pangrati conserve tout son caractère familier et offre à la ville la couleur, le sens et les bienfaits d’un lieu aimé. Un lieu qui acquiert toute sa richesse quand on sait que son passé a pris soin de planifier son présent.

Vue sur Pangrati ©Will Feuer

 


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