Nissim Levis : Mémoires des Juifs Romaniotes de Ioannina

Nissim Levis : Mémoires des Juifs Romaniotes de Ioannina

Notre journaliste Johanna Bonenfant avec Grèce Hebdo s’est rendu à l’exposition temporaire du Musée Juif de Grèce, l’occasion de revenir sur la diaspora Juive de Grèce, du début de sa formation à nos jours.

Le Musée Juif de Grèce nous fait découvrir, depuis le 22 janvier et jusqu’au 5 octobre 2018, une exposition sur les photographies de Nissim Levis, un médecin Juif grec qui a contribué à la mémoire des Juifs Romaniotes, notamment dans sa ville d’origine, Ioannina.

Depuis sa fondation en 1977, le Musée Juif (basé à Athènes) a l’ambition de représenter l’histoire et l’identité juive en Grèce. Son bâtiment néoclassique se compose ainsi de divers étages, dont une galerie d’art, une librairie, un laboratoire de collections, et surtout une exposition permanente de plus de 8000 pièces de collection. Des reliques et objets personnels – allant des manuscrits, aux médailles, journaux et costumes – illustrent ce qu’ont pu vivre les Juifs grecs de l’antiquité à nos jours.

© Johanna Bonenfant/Grèce Hebdo

Romaniotes et Sépharades, à la conquête de la Grèce

La Grèce accueille en effet, dès le VIe siècle avant JC, les Romaniotes,  premiers Juifs à s’installer dans le pays après l’exil de Babylone. Une « diaspora hellénistique » se forme au IIIe siècle, notamment dans la ville de Ioannina, au nord-ouest de la Grèce, qui comptait le plus grand nombre de Juifs Romaniotes.

Alors que la Grèce fait partie de l’Empire Ottoman et suite au Décret de l’Alhambra en 1492 qui signe l’arrivée des musulmans et l’exclusion des Juifs, nombreux sont ceux qui décident d’émigrer à Salonique, ville du nord-est de la Grèce. Ces Juifs d’Espagne, les Séfarades, jouent alors un grand rôle économique, culturel et social, en travaillant notamment dans le commerce, l’industrie ou la médecine. Cette communauté de Juifs, plus grande et plus riche, supplante celle, plus ancienne, des Romaniotes.

Depuis leur arrivée en Grèce, les Juifs jouissent des mêmes droits que les autres citoyens et sont reconnus comme partie intégrante et légale de l’Etat Grec entre 1882 et 1920. Néanmoins, la Seconde Guerre Mondiale change la donne lorsque les troupes allemandes envahissent la Grèce le 6 avril 1941. Deux ans plus tard, 47 000 Juifs sont déportés dans les camps d’Auschwitz. Dans la ville de Ioannina, 1 832 Juifs sont assassinés. Cependant, la communauté juive Sépharade de Salonique est la plus touchée : pratiquement la totalité des juifs sont décimés. Terres majoritairement juives, Ioannina et Salonique furent les premières victimes du nazisme en Grèce.

L’exposition temporaire « A travers l’objectif de Nissim Levis : Une famille, une ère » se concentre, elle, sur les photographies de Nissim Levis représentant les accomplissements d’une famille Romaniote ayant vécu au XIXème siècle à Ioannina.

Nissim Levis, tout d’abord éduqué à Lausanne, en Suisse, puis à la Sorbonne, à Paris, se tourne vers la médecine pour finalement travailler dans l’un des plus prestigieux hôpitaux français pour enfants, Armand-Trousseau. Homme généreux, il ne manque parfois pas de traiter les patients gratuitement, lors de son retour dans sa ville d’origine, Ioannina. A cette époque, la ville était le centre économique de la région, connue pour ses compétences dans le travail du métal, la couture, et pour son commerce avec le reste du monde. Même en temps de crise, les Juifs occupaient 14% de la population de Ioannina.

C’est dans ce lieu qu’il photographiera les moments clefs de sa vie et de son entourage. Clichés pris sur le vif ou portraits très cadrés, le docteur développe son talent artistique au fur et à mesure des années, et représente sa famille à diverses époques.

Son stéréoscope l’accompagne tout au long de son travail. Créé avec l’ambition de juxtaposer deux photos identiques, cet outil lui permet de donner du relief et ainsi plus de profondeur à ses photographies. Fabriqué en 1838, il séduit de nombreux photographes et se trouve être le produit d’un réel effet de mode pendant un siècle, jusqu’au moment où l’Allemagne prend possession de la Grèce.

En photographiant ses proches, il attire les regards sur la contribution de sa famille à la communauté juive de Ioannina. Son père, Davidjon Effendi Levis, représentant du village au Parlement Ottoman en 1877 puis membre du Conseil, s’efforçait de représenter les Juifs et de résoudre les problèmes que la ville connaissait. Matathias David Levis, son grand-père, était de son côté à la tête de l’Ecole Talmudique de Ioannina au milieu du XIXème siècle.

Interview: la directrice du Musée Juif de Grèce, Zanet Battinou, parle à GreceHebdo

Les membres de cette famille ont tout particulièrement intéressé la directrice du Musée Juif de Grèce, Zanet Battinou. Elle nous explique les raisons pour lesquelles elle a choisi de faire cette exposition rendue possible grâce à la coopération entre le Musée Juif et l’Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne à Athènes.

Pourquoi avoir décidé de faire une exposition sur Nissim Levis ?
Je connais depuis de nombreuses années les descendants de la famille de Nissim Levis, puisque je suis moi-même Juive Romaniote. Lorsque j’ai su qu’ils avaient de nombreux objets lui ayant appartenu, j’ai tout de suite voulu faire une exposition sur leur famille. L’année dernière, nous avons proposé une exposition sur les Juifs Romaniotes en général. Cette année était ainsi l’occasion de nous concentrer davantage sur une personne, une ville et une époque en rapport avec la communauté romaniote, et l’histoire de la famille de Nissim Levis nous semblait pertinente.

En quoi Nissim Levis est-il important pour la communauté juive ?
Il venait d’une famille très remarquable, riche et cosmopolite. Ce n’était pas un homme très connu, mais il était tout de même important, puisqu’à travers ses photographies, il a illustré sa communauté et de sa famille. Il a fait le lien, grâce à ses voyages, ses travaux et son caractère philanthropique, entre les Romaniotes de cette époque et ceux d’aujourd’hui, et a ainsi contribué à la mémoire de cette communauté.

En quoi cette exposition a toute sa légitimité au Musée Juif de Grèce ?
L’exposition présente une famille de Juifs Romaniotes et se trouve en quelque sorte dans le prolongement de l’exposition permanente. Nous étions informés du livre d’Alexander Moissis « The Nissim Levis Panorama : Stereoscopic Photos and Travels of a Doctor from Ioannina » qui illustre les 500 photographies de Nissim Levis faites entre 1898 et 1944. Cet ouvrage, édité en grec et en anglais, a reçu le prix 2017 de l’Académie d’Athènes dans la Catégorie « Lettres et Beaux-Arts ». Néanmoins, nous voulions aller beaucoup plus loin, en proposant non seulement ses photographies, mais aussi ses outils de travail, son stéréoscope, les médailles de sa famille, etc.

Ainsi, l’exposition a pu montrer que la ville de Ioannina a connu une communauté juive très active et engagée. Avant la Seconde Guerre Mondiale, Nissim Levis en était l’exemple, avec son apport photographique, culturel et médical, qui illustre une ère prospère et pleine de possibilité. Le Musée Juif de Grèce est ainsi là pour montrer que, malgré les épreuves que les Juifs ont pu connaître, ils sont arrivés à laisser derrière eux des éléments qui honorent leur mémoire.

Johanna Bonenfant, avec Grèce Hebdo


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