Pour son bicentenaire, la Grèce célèbre les «philhellènes» français

Pour son bicentenaire, la Grèce célèbre les «philhellènes» français

Le bicentenaire de la Grèce est célébré

De Victor Hugo à Eugène Delacroix, de Mme de Staël à Hector Berlioz, de nombreux artistes français se sont mobilisés aux côtés de la Grèce lorsqu’elle s’est soulevée contre l’occupation ottomane. Cet épisode commémoré cette année, donne lieu à un regain de patriotisme en Grèce, dans lequel l’amitié avec la France n’est pas oubliée, écrit Alexia Kefalas.

Quel est le point commun entre la romancière et philosophe Mme de Staël, le peintre Eugène Delacroix, le compositeur Hector Berlioz, les écrivains Victor Hugo ou Chateaubriand? Ils se sont tous engagés, à travers leurs œuvres ou leurs actions, aux côtés des Grecs lors de la longue guerre d’indépendance qui a mené le pays à se libérer après quatre cents ans de joug ottoman. On les appelle les «philhellènes», étymologiquement, «amis de la Grèce». Leurs contributions ont été déterminantes dans la naissance de la Grèce moderne.

C’est pour cette raison que le pays s’apprête à les honorer à l’occasion du bicentenaire de la guerre d’indépendance (1821-2021). «La liste des philhellènes est aussi longue qu’internationale. En France, tous ne sont pas aussi célèbres que Delacroix ou Hugo, mais ils ont su entraîner un vaste mouvement. Très tôt, la plupart ont participé notamment à des levées de fonds pour aider les soldats grecs à se soulever contre l’occupation ottomane. Des actes de bravoure se sont poursuivis pendant la reconstruction du pays», explique Gianna Angelopoulos, la présidente du Comité du bicentenaire. «La plupart des philhellènes de France se sont mobilisés au sortir de la Révolution française de 1789, voyant une continuité dans un mouvement qui coïncide avec le déclin de l’Empire Ottoman. La guerre d’indépendance grecque est, en réalité, une révolution contre la turcocratie. Mme de Staël sera l’une des premières à lever des fonds pour fournir en armes les insurgés grecs, et ce dès 1816», ajoute-t-elle en détaillant l’ampleur du philhellénisme dans l’histoire du pays et le rôle prépondérant de la France. Les Français sont intervenus aux côtés des insurgés grecs assez rapidement, par réelle amitié, alors que les Anglais et les Russes nourrissaient d’autres ambitions et intérêts géostratégiques.

Le massacre de Chios, Eugène Delacroix

Le massacre de Chios, Eugène Delacroix

«Sous protection française»

Pour sensibiliser l’opinion publique internationale, le célèbre peintre Eugène Delacroix décide, dès 1822, de consacrer une œuvre au «Massacre de Chios» (au Louvre), pour rappeler la tuerie de l’île de la mer Égée qui fit 25.000 morts et où 45.000 Grecs furent vendus comme esclaves. Deux ans plus tard, en 1824, Delacroix peint La Grèce sur les ruines de Missolonghi , exposé au Musée des beaux-arts de Bordeaux. Située entre la Grèce continentale et le Péloponnèse, la ville de Missolonghi était une position géostratégique importante pour les Ottomans, qui l’assiégeront à plusieurs reprises. En voulant bloquer le siège, en 1823, le général Markos Botzaris y perd la vie. Ce héros grec est célébré un peu partout dans le monde. «Vous ne connaissez pas la rue Botzaris dans le 19e arrondissement de Paris, ou la station de métro?», interroge Gianna Angelopoulos. «Botzaris était au-dessus des querelles politiques, partisanes ou autres. Il est mort pour la Grèce, pour l’Europe. Imaginez-vous ce que serait l’Europe si la Grèce était toujours sous occupation ottomane!» Explique Gianna Angelopoulos

Cette désastreuse chute de Missolonghi réveille l’Europe occidentale, qui se rallie à la cause grecque. Dès 1825, un comité de philhellènes se crée en France. Chateaubriand rédige alors un «Appel en faveur de la cause sacrée des Grecs», qui deviendra une «Note sur la Grèce», tout comme Victor Hugo dans Les Orientales, en 1826, sur un ton plus martial. Enfin, Hector Berlioz compose, toujours en 1826, Scène héroïque (la Révolution grecque ).

La liberté ou la mort

Pourtant, la France se tâte pour passer à l’action sur le terrain. En 1798, alors que les révolutionnaires grecs proposent à Napoléon 50.000 hommes «pour que le libérateur de l’Italie devienne aussi celui de la Grèce», le ministère français des Affaires extérieures s’interroge sur un débarquement via le Péloponnèse, l’isthme de Corinthe ou même par les Thermopyles. Le projet restera lettre morte. Quelques mois plus tard (le 24 brumaire an VII), Bonaparte nomme Konstantinos Stamatis, un Grec engagé, à la direction de l’Agence de commerce français à Ancône, en Italie. Une institution qui, en réalité, est un «comité d’insurrection (…) contre la Porte Ottomane», peut-on lire dans les documents officiels.

Un mouvement grec se dessine pour demander la création d’une République sous «protection française». Rhigas Velestinis appelle à créer une République hellénique dans ses œuvres littéraires, qui seront imprimées et diffusées dans toute la Grèce par l’imprimerie française de l’île de Corfou. D’autres veulent surtout un débarquement de l’armée française. Une requête encouragée par les deux Corses (l’oncle et le neveu Stephanopouli) envoyés par Bonaparte dans le Magne (Péloponnèse). Mais ils attendront en vain. La France ne les abandonnera pas pour autant et accueillera des exilés Grecs qui mèneront la bataille à distance. De leur côté, des soldats de Napoléon s’engageront, de leur propre gré, sur le front aux côtés des révolutionnaires grecs parce qu’ils considèrent ce mouvement porteur des mêmes valeurs que celles pour lesquelles ils se sont battus.

Au même moment les comités de philhellènes à l’international s’organisent. On en retrouve une branche à Londres, comptant parmi ses membres l’illustre poète Lord Byron, vivant déjà en Grèce et qui mourra en héros de l’indépendance dans la ville de Missolonghi, mais également une autre à Moscou.

Le terme de philhellène garde aujourd’hui tout son sens, porté par de grands noms comme Jacqueline de Romilly. Il reste le symbole d’une influence extérieure cruciale dans un mouvement qui a permis de faire chuter un régime de quatre siècles. «C’est pourquoi cela fait sens de voir pendant toute l’année 2021 des écoles, des groupes et des particuliers, tous philhellènes, venir célébrer ce bicentenaire avec nous. Car malgré les conditions sanitaires contraignantes, qui nous ont amenés à modifier notre programme, nous sentons un réel désir de participer. Les initiatives de célébration continuent de pleuvoir», souligne Gianna Angelopoulos. Cette ancienne députée et avocate n’a pas été choisie au hasard par le gouvernement grec. Elle a présidé avec brio le dernier grand événement international organisé par le pays, les Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Son nom est souvent cité pour le poste de présidente de la République hellénique, mais elle assure n’avoir «aucune ambition politique».

La crise actuelle des relations gréco-turques a encouragé un nouveau patriotisme qui somnolait, ces dernières années, chez les Grecs. La violation répétée de l’espace maritime du pays par des navires de recherches en quête d’hydrocarbures dans les fonds marins de la mer Égée, ainsi que des bâtiments de guerre, ont secoué l’opinion publique. Beaucoup voient dans les célébrations de la fin du joug ottoman le besoin de montrer que la Grèce, petit pays disposant d’une artillerie de guerre bien moins importante que sa voisine turque, est capable non seulement de résister à l’agresseur mais aussi de défendre une certaine idée de l’Europe.

La crise actuelle des relations gréco-turques a encouragé un nouveau patriotisme qui somnolait, ces dernières années, chez les Grecs.

Cette dimension psychologique va au-delà du simple patriotisme. «Les Grecs sont touchés de plein fouet par la crise économique post-confinement, après dix années de crise économique douloureuse, rythmée par une paupérisation brutale de la population, avec une baisse drastique des revenus», reprend la présidente du Comité. «Évidemment, si l’on prend du recul, le pays a fait plusieurs fois faillite depuis 1821 et s’est toujours remis sur pied. Il faut donc garder espoir et se saisir de cette occasion pour en donner aux nouvelles générations. Alors que nous entamons le troisième siècle de notre histoire moderne, nous pouvons, en 2021, unis, incarner un message pacifié et serein de notre patriotisme.»

Theophilos Chatzimihail

Le peintre Theophilos Chatzimihail

Thérapie nationale

Malgré la pandémie, les évocations du bicentenaire se multiplient: les livres sur 1821, tant pour enfants que pour adultes, se vendent comme des petits pains, et on ne compte plus les spectacles mettant en scène la bataille des Hellènes en fustanelle contre les Ottomans enturbannés. Une pièce de collection de 1 euro a été lancée par la Banque nationale de Grèce, «premier établissement bancaire créé à l’indépendance du pays». Elle représente un tableau du peintre Theophilos Chatzimihail dénommé La Grèce renaissante. Sans oublier le drapeau grec, déjà omniprésent dans les îles situées face à la Turquie voisine, dont les neuf bandes horizontales, bleues et blanches rappellent les neuf syllabes du slogan de la révolution de 1821: «Eleftheria i Thanatos» («la liberté ou la mort»). Analystes et historiens voient dans ce phénomène naissant unbesoin de se raccrocher à une victoire emblématique du passé pour y puiser des forces et supporter le présent et l’avenir procheUne thérapie nationale dont le point d’orgue sera le 25 mars 2021, jour de l’indépendance, où de nombreux chefs d’État, dont Emmanuel Macron, sont attendus en Grèce.


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