Rencontre avec Andréas Mavrommatis

Rencontre avec Andréas Mavrommatis

Le journal a eu le plaisir de rencontrer le chef étoilé Andréas Mavrommatis en octobre dernier. De nationalité grecque, ce restaurateur a construit sa vie à Paris où il a saupoudré sa cuisine. Andréas Mavrommatis a réussi grâce à son impressionnante ténacité et sa volonté de faire découvrir la bonne cuisine grecque en France. Interview.

 

Comment s’est passée votre arrivée en France? Racontez-nous vos débuts…

Je suis arrivé à Paris en 1977 pour faire mes études à la Sorbonne, en Sciences Humaines. Mon premier but était d’apprendre le français, je me suis inscrit à l’Alliance française et parallèlement j’ai cherché un travail pour financer mes études. A ce moment, j’ai commencé à travailler dans des restaurants grecs. Ensuite, je me suis inscrit à la fac à Jussieu en Sciences Sociales à l’issue d’une année d’apprentissage de la langue française. Mon frère, Evagoras, s’est inscrit en administration économique et sociale et nous avons cherché un appartement dans le 5ème pour être à la proximité de la fac.

En 1981 une opportunité s’est présentée et nous avons acheté une boutique. Avec mon frère on travaillait les week-end et les vacances mais l’idée de prendre une boutique était loin de nos préoccupations. Comme on avait le business dans le sang (rires), on a dit oui. Ce qui nous a motivé, c’était de montrer aux Français qu’il existait une bonne cuisine grecque, loin de clichés et de folklore.

Et cette nouvelle boutique, comment s’est-elle développée ? 

On avait une boutique-traiteur Les Délices d’Aphrodite (qui est aujourd’hui un bistro ambiance taverne grec, ndlr). Le quartier n’était pas du tout comme aujourd’hui. Ce n’était pas aussi chic que ça l’est maintenant, c’était plutôt populaire. La première fois on a fait deux-cents francs, c’était le mardi 19 mars 1981. Puis le premier samedi, on a fait mille francs. A ce moment là, je me suis dit « tiens ! Il y a des choses à faire ! ». Et ça a marché, puisque cela fait 37 ans maintenant que l’on est ici ! (rires)

On se relayait avec mon frère parce que les cours prévalaient sur la boutique, on était ouvert 7j/7, de 9h du matin à 23h. L’idée c’était que les gens voient la lumière dans la rue et viennent ensuite nous voir. C’est ce qu’il s’est passé, le bouche à oreille a beaucoup fonctionné.

C’était très difficile au départ, mais dans la famille, on ne lâche rien, on essaie on essaie et on essaie encore. Je sentais qu’il allait se passer quelque chose. Les clients nous ont beaucoup soutenus. La gamme des plats cuisinés n’était pas très étendue. Mais dès le début, j’ai vu des signes d’encouragement.

D’ailleurs aujourd’hui, parmi les plats de la boutique, il y a toujours ceux de nos débuts comme le tzatziki, la moussaka, le tarama.

Quelques années plus tard, en 1988, – l’année où Dionysos, le troisième frère est arrivé à Paris- on a eu l’idée de transformer Les Délices d’Aphrodite en restaurant et d’ouvrir une boutique-traiteur rue Censier. Puis on a ouvert un corner aux Galeries Lafayette où on y est depuis 25 ans !

Travailler à vos débuts dans les restaurants grecs, a-t-il été pour vous un élément déclencheur ? 

Oui, bien sûr. Ce qui est important à souligner, c’est que c’est en travaillant que j’ai eu envie d’apprendre la cuisine. J’ai découvert une passion que je ne me soupçonnais pas. Dire que « j’ai fait la cuisine quand j’étais petit auprès de ma mère » ce ne serait pas dire la vérité. Si je n’avais pas travaillé dans un restaurant grec, je n’aurai jamais découvert que j’avais une autre passion. Ce qui est vrai par contre, c’est qu’on mangeait de la très bonne cuisine chez nous, ma mère cuisinait ce que le potager produisait. On vivait en autarcie, à Chypre, à Agios Ioannis, dans les hauteurs. On cultivait de tout et on mangeait ce qu’il y avait au fil des saisons, on avait même de la viande avec nos chèvres, poules, cochons (rires). J’y ai appris le vrai goût des tomates, des concombres, des fruits…etc. Ma mère, comme toute mère grecque, fait très bien la cuisine pour ses enfants… C’est le cliché de la mère méditerranéenne ! C’est une très bonne cuisinière, j’ai même amené des chefs renommés chez moi et ils disent que c’est une cuisine 3 étoiles ! (rires)

Comment avez-vous réussi à imposer votre cuisine auprès d’une clientèle française exigeante?

Comme dit Paul Bocuse « Il n’y a pas une cuisine, il y des cuisines ». La France est une référence de la gastronomie et les français ont la capacité d’apprécier la bonne cuisine.

Mon objectif, c’était de concilier les Français avec la bonne cuisine grecque. Pour cela, j’ai dû d’abord la découvrir. Il faut dire que la cuisine grecque est assez diversifiée, grâce à ces nombreux terroirs qui ont tous leurs particularités locales. J’ai beaucoup voyagé en Grèce pour connaître chaque spécialité locale, mieux comprendre ce que les grand-mères, les mères cuisinent…

Ensuite, pour me perfectionner je me suis inscrit en 1983 à l’école Lenôtre à Plaisir où j’ai fait tout mon apprentissage. J’ai vite compris que j’étais plus cuisinier que pâtissier ou chocolatier (rires).

Quelle cuisine vous inspire? 

J’aime la cuisine de goût, simple, pas trop sophistiquée, harmonieuse… Je puise mon inspiration dans la cuisine Méditerranéenne, et plus particulièrement celle de Grèce, d’Espagne, d’Italie et le Moyen-Orient. La technique et la méthode de la cuisine française me sont indispensables pour réussir et perfectionner mes plats. La combinaison de ces deux cuisines différentes donne de résultats formidables. Je suis très attaché aux goûts, aux saveurs, au bon assaisonnement…

Pouvez-vous nous parler des producteurs grecs chez lesquels vous vous fournissez ?

En Grèce, il y a en effet des produits de très bonne qualité, pas seulement les fruits et les légumes mais aussi les produits manufacturés. Je trouve que le travail du « bon paysan » n’est pas assez représenté. Nous avons fait le choix de l’importation pour aller justement chercher le meilleur du pays grec. Aujourd’hui, on importe tous les produits dont on a besoin dans notre cuisine, à part le frais. Par exemple, l’huile d’olive, la feta, les yaourts, le miel, les olives, la Mastiha de Chios et bien sûr le vin… Nous avons plus de quatre-vingts références grecques !

Lorsque vous avez reçu l’étoile Michelin, quelle a été votre réaction et quelles en ont été les conséquences sur votre manière de travailler ? 

Jamais je n’aurai pu imaginer ça il y a 30 ans ! L’étoile Michelin vient récompenser un travail de très longue haleine qui a fait son chemin petit à petit. A Paris, c’est difficile de faire sa place, c’est même un des lieux le plus difficile. Comme je le disais, les clients sont exigeants, ils ont un grand choix de restaurant et…il ne suffit pas de « vouloir une étoile » ! C’est quelque chose qui se construit, se vit. Je voudrais souligner aussi l’importance du travail d’équipe : il faut savoir donner envie à son équipe, partager cette passion qui est à la fois personnelle et familiale et qui doit devenir une passion collective. Si l’équipe ne vous suit pas, c’est impossible.

Ce que juge Michelin c’est la régularité, que ce soit toujours bien et que le client puisse toujours s’attendre à la même chose. Quand on va dans un bon restaurant, il y a toujours une préparation mentale du client dans sa tête : l’envie de passer un bon moment. On doit être capable de l’offrir à notre client, et là, est la clé de la réussite dans la restauration. Le client, c’est le pivot de tout. C’est également à lui que je dois mon succès. Quand il y a un problème et qu’un client exprime son mécontentement, on corrige immédiatement et profondément notre erreur.

L’étoile a renforcé mon attention, je suis encore plus vigilant. Attraper la grosse tête? Non. Celui qui se repose sur ses lauriers n’a rien compris. La cuisine se construit dans le temps, surtout, lorsque comme nous, on a crée une cuisine d’émotion.

 Y a-t-il des chefs qui vous ont inspiré ? 

J’ai fait des écoles françaises mais je n’ai pas travaillé chez des chefs en particulier. Par contre, j’ai fait travailler des chefs avec moi, comme Christophe Bacquié et aussi Gabriel Biscaye qui est mon mentor : il m’oriente, il goûte tous les plats que je conçois. En travaillant avec tous ces chefs, j’ai énormément appris d’eux. Ensemble, nous avons mis en place des recettes, toujours à la recherche de la perfection. Je tiens énormément à la notion de collaboration en cuisine.

 

Le plat préféré d’Andréas Mavrommatis : 

Artichauts façon Constantinople, agneau et poulpe, des plats qui sont à la carte depuis toujours.

Quelques plats :

©Pierre Monetta

©Pierre Monetta

En ce moment en librairie : La Grèce avec amour, aux éd. Ducasse Editions

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Entrée : Les cromesquis de légumes / Plat : La moussaka / Dessert : Baklava


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