10 journées dans la vie d’une ville (4/10) : L’angoisse de Démosthène

10 journées dans la vie d’une ville (4/10) : L’angoisse de Démosthène

©Getty Images/iStockphoto

Les Perses la ravagèrent avant que Périclès ne lui redonne sa splendeur. Socrate en parcourut les ruelles. Sylla y restaura l’autorité de Rome par le glaive. Elle fut soumise à la domination ottomane, aux bombardements vénitiens et à l’occupation nazie. Elle demeure, malgré ses tourments, la capitale d’une Grèce éternelle. Afin de mieux comprendre le passé d’Athènes, Bonjour Athènes vous propose une série de 10 articles écrits par Irina de Chikoff pour le Figaro.

351 avant J.-C. : L’angoisse de Démosthène

Face à l’ambition hégémonique de Philippe de Macédoine, Démosthène veut, par ses discours, réveiller Athènes.

Debout devant l’Assemblée du peuple qui se tient sur la Pnyx, Démosthène dénonce l’insolence du roi de Macédoine qui s’est emparé, depuis six ans, des clérouquies d’Athènes en Thrace, mettant en péril l’approvisionnement en blé de l’Attique. A qui la faute ? Philippe est un conquérant. On peut le déplorer, mais se plaindre ne sert à rien car « il est naturel que les biens des absents reviennent à ceux qui sont présents, que les hommes décides d’affronter fatigues et périls dépouillent ceux qui négligent leurs intérêts ».

Si Philippe a pu annexer Amphipolis, Potidée, Méthone, Abdère et Maronée, la faute en rejaillit sur les Athéniens qui sont restés passifs. Ils ne songent qu’à se divertir, à boire, à manger, à se rendre au théâtre. Ils ne veulent plus servir dans l’armée. Ils se fient à des mercenaires, mais les troupes stipendiées traînent des pieds quand elles n’ont pas reçu leur solde.

Tout est encore possible à condition qu’Athènes secoue son inertie. A tergiverser, il sera un jour trop tard. « Réveillez-vous, il le faut ! » Démosthène développe devant l’Ecclésia tout un plan de mobilisation. La cité doit financer une armée nationale qui encadrera les mercenaires. L’orateur ne propose pas de livrer une bataille frontale contre les troupes macédoniennes, mais de harceler Philippe dans son propre royaume et de porter secours à chaque colonie qui en fera la demande. « Vos votes ont choisi parmi vous dix taxiarques, autant de stratèges et de phylarques, et deux hipparques. (…) Semblables aux fabricants de figurines d’argile, c’est pour l’agora que vous élisez vos taxiarques et vos phylarques, non pour la guerre. »

L’argent ? Démosthène propose d’abolir la loi d’Eubule, chef du parti de la paix, qui permet de transférer les excédents budgétaires au fonds des spectacles. Il est devenu, au fil des années, une caisse d’assistance. Du temps de Thémistocle, ces excédents allaient à la marine. Athènes a besoin aujourd’hui d’équiper cinquante trières et des embarcations de transport. Démosthène hausse le ton pour demander qu’on en revienne à ces temps de gloire, qu’on cesse de se lamenter, qu’on en finisse avec la lâcheté, l’indolence, le renoncement. « Si nous ne voulons pas le combattre en Thrace, c’est ici peut-être que nous serons forcés de lutter contre lui. »

L’assemblée murmure, maugrée, refuse d’ouvrir les yeux. Elle se dérobe. Mais Démosthène ne se décourage pas. Depuis son plus jeune âge il s’est accoutumé à l’adversité. Ses parents sont morts alors qu’il n’était qu’un enfant. Son été avait nommé trois tuteurs. Ils l’ont dépouillé de la fortune paternelle. Elève de Platon, Démosthène a délaissé la philosophie pour la rhétorique. Il a eu l’orateur Isée pour maître. Mais il pâtissait d’un handicap. Il était légèrement bègue et manquait de souffle. Sur les conseils d’Isée, il s’est exercé à parler avec des cailloux dans la bouche. Ses premiers discours provoquaient des risées mais il a persévéré et, tout comme son maître, Démosthène s’est spécialisé dans les affaires de succession. Il a réussi à recouvrer une partie de sa fortune et a acquis une riche clientèle avant de se tourner vers la politique.

Démosthène s’exerçant à la parole, Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ

Lorsque Philippe de Macédoine a menacé en 349 avant J.-C. Olynthe, la cité a fait appel à Athènes. Mais l’Ecclésia a de nouveau hésité. Quand les secours ont enfin été envoyés, il était trop tard. La ville avait été rasée. Sans se décourager, à chaque avancée du roi de Macédoine, Démosthène revient plaider sur la Pnyx. Mais le parti de la paix fait le gros dos. Pauvres et riches, démocrates et oligarques biaisent, s’esquivent. Certains sont même devenus ouvertement « philippisants ». Quand le roi de Macédoine a été sollicité pour mettre un terme à la quatrième guerre sacrée autour du trésor de Delphes, Démosthène est enfin parvenu à faire suspendre la loi d’Eubule.

Il met sur pied une coalition avec Thèbes. Elle est écrasée à Chéronée par Philippe et son fils Alexandre, qui a dix-huit ans. A Athènes, on se prépare à soutenir un siège. Mais Philippe préfère négocier. Si Thèbes est rudement traitée, Athènes est relativement épargnée. Elle doit certes dissoudre sa confédération maritime, mais parvient à garder quatre îles vitales pour elle : Skyros, Lemnos, Imbros et Samos. Le roi de Macédoine n’en devient pas moins hégémon de l’ensemble des cités grecques. Quand il est, peu après, assassiné lors du mariage de sa fille, Alexandre lui succède.

Démosthène, qui avait pris la mesure de Philippe, sous-estime celui qu’il appelle « ce petit jeune homme ». Il s’en repentira.

Une série de 10 articles écrits par Irina de Chikoff pour le Figaro Hors Série. Lire la suite : boutique.lefigaro.fr


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