10 journées dans la vie d’une ville (6/10) : Le duc d’Athènes
Les Perses la ravagèrent avant que Périclès ne lui redonne sa splendeur. Socrate en parcourut les ruelles. Sylla y restaura l’autorité de Rome par le glaive. Elle fut soumise à la domination ottomane, aux bombardements vénitiens et à l’occupation nazie. Elle demeure, malgré ses tourments, la capitale d’une Grèce éternelle. Afin de mieux comprendre le passé d’Athènes, Bonjour Athènes vous propose une série de 10 articles écrits par Irina de Chikoff pour le Figaro.
7 septembre 1223 : Le duc d’Athènes
Le pape vient de lever d’excommunication qui frappait depuis quatre ans le duc d’Athènes, Othon de la Roche.
En son palais des Propylées sur l’Acropole, Othon de la Roche accueille Geoffroi de Villehardouin, le neveu du chroniqueur de la quatrième croisade. Tous deux avaient été excommuniés en 1219 par le souverain pontife pour avoir confisqué des biens ecclésiastiques. L’interdit a été levé il y a trois jours. Le duc d’Athènes et le prince d’Achaïe se rendent au Parthénon, qui abrite la cathédrale Notre-Dame, pour en rendre grâce à messire Dieu. Chemin faisant, ils devisent sans prêter grande attention aux colonnes, fûts, frises ou statues, car ni l’un ni l’autre ne se passionnent pour les antiquités. Othon de la Roche n’a eu aucun scrupule à adosser aux Propylées une tour carrée qui leur sied bien mal. Chevaliers sans peur, mais non sans reproche, ils avaient pris la croix, l’un au tournoi d’Ecry dans les Ardennes, l’autre à l’abbaye de Cîteaux. Pour délivrer Jérusalem et le tombeau du Christ.
Jamais ils n’auraient pensé que cette guerre sainte à laquelle le pape Innocent III avait appelé la chrétienté serait d’eux des grands seigneurs. Que d’aventures vécues ensemble ! Que de campagnes conduites étrier contre étrier ! Après avoir mis genou en terre devant l’autel de la cathédrale, Othon et Geoffroi reviennent aux Propylées où un repas leur est servi, arrosé d’un vin réputé de l’Attique, le Chrysatikos, qui ne tarde guère à les rendre diserts.
Avec l’oncle de Geoffroi de Villehardouin et Boniface de Montferrat, nommé chef de la croisade après la mort du compte de Champagne, Othon de la Roche avait fait route vingt ans plus tôt vers Venise, qui s’était engagée à transporter les croisés. Mais ceux-ci étaient moins nombreux que prévu et sur les quatre-vingt-cinq milles marcs dus à la Sérénissime, ils n’avaient pu en réunir que cinquante et un mille. Le doge, Enrico Dandolo, n’avait pas tardé à trouver une solution. Il avait proposé aux chevaliers de prendre d’assaut le port dalmate de Zara, que le roi de Hongrie avait enlevé à Venise, en échange d’un moratoire sur la somme due. Plusieurs croisés avaient refusé le marché, car ils pensaient que c’était pêché que d’attaquer un chrétien. Mais la majorité avait accepté de tenter l’aventure, et on avait fait voile vers Zara qui avait promptement été investie.
En apprenant ce sacrilège, le Saint-Père avait excommunié les croisés, puis il avait fini par lever la sanction et les chevaliers s’apprêtaient à repartir quand Alexis, le fils de l’empereur Isaac II Ange, était venu les supplier de délivrer son père, incarcéré dans une geôle de Constantinople par son propre frère, qui lui avait ravi le trône.
Othon s’était reversé une coupe de Chrysatikos. Dix-neuf ans après la prise de Constantinople, il ne s’explique toujours pas commenté les croisés ont pu se livrer durant trois jours aux massacres, pillages et profanations. Ils restent ancrés, telle une marque au fer rouge, dans sa mémoire. L’Empire byzantin avait alors été partagé entre Venise et les vainqueurs. Baudouin de Flandre en était devenu le premier souverain. Boniface de Montferrat, qui avait espéré la couronne du nouvel Empire latin d’Orient, avait reçu en guise de compensation le royaume de Thessalonique. Othon de la Roche avait participé à sa conquête et en avait été récompensé par le duché d’Athènes.
Geoffroi, de son côté, avait embarqué pour la Terre sainte à Marseille. Une tempête l’avait fait s’échouer sur la côte du Péloponnèse où il avait passé l’hiver avant de rejoindre Montferrat au siège de Nauplie. Il y avait retrouvé Guillaume de Champlitte, et tous deux, avec cent chevaliers et quatre cents hommes de troupe, s’étaient lancés à la conquête de la Morée qu’ils avaient partagée en douze baronnies. Champlitte était devenu prince d’Achaïe. Quand il était mort en 1209, les barons avaient choisi Geoffroi comme bailli avant qu’il ne soit confirmé comme prince d’Achaïe par l’empereur latin Henri de Hainaut, qui avait succédé au frère Baudouin en 1206.
Geoffroi et Othon ont participé à bien des campagnes aux côtés d’Henri. Contre les Bulgares ou les Lombards de Salonique. Mais depuis la mort de l’empereur Henri, tout s’effiloche. La cinquième croisade a été un échec. Les barons ne songent plus qu’à protéger leur propre fief. L’Empire latin se rabougrit comme peau de chagrin. Le Saint-Père a beau tonner contre l’empereur germanique afin qu’il conduise une sixième croisade, Frédéric II fait la sourde oreille. Cousu de cicatrices, le duc d’Athènes songe à rentrer en France. Il veut rendre son âme à Dieu sur sa terre natale et reposer dans l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Bellevaux fondée par son arrière-grand-père. Son fils Guy est désormais en âge de lui succéder.
Une série de 10 articles écrits par Irina de Chikoff pour le Figaro Hors Série. Lire la suite
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